Repenser son organisation®

Fiche N°36

La démarche de mise en oeuvre

La démarche de mise en œuvre de la cible organisationnelle doit reposer sur trois grands principes : l’effet marathon, le syndrome de la chaussure neuve et l’effet boule de neige.

L’effet marathon

Dans un marathon, tout le monde court la même distance, mais pas à la même vitesse. Quand les coureurs sont nombreux, ils ne peuvent pas tous partir en même temps. Ceux qui courent les plus vite partent d’abord. Dans certains grands marathons à forte affluence, les derniers coureurs prennent le départ quand les premiers sont déjà à peu près à la moitié de la course.

Toute chose égale par ailleurs, le même phénomène se produit lors d’un changement organisationnel : plus on est haut dans la hiérarchie, plus on change tôt et rapidement ! Pas parce que l’on est plus apte au changement que les échelons hiérarchiques inférieurs, mais parce qu’on est plus proche du ou des centres de décision. Du coup, quand le sommet s’agite et est fortement investi dans le changement, la base trouve que, à son niveau, rien ne bouge et que, « la haut, ils font beaucoup de bruit pour pas grand-chose ». Et, inversement ! Quand dix-huit mois après le lancement des opérations, on fait un point sur le changement en comité de direction, le directeur général s’exaspère de ce qu’il entend : « ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible, on n’en est pas encore là. On avance à la vitesse d’un escargot. Je croyais que cette étape était terminée depuis longtemps ». Ce que lui a vécu un an auparavant, le niveau N-5 est en train de le vivre alors que ce n’est plus du tout son actualité. Dans bien des cas, il a même déjà changé de changement.

Cela serait plus simple si tout le monde changeait au même moment et à la même vitesse. Surtout dans les organisations de grande taille, l’effet marathon complique le changement. Mais, quand il est bien respecté, il facilite la vie des managers en créant un décalage dans le temps entre leurs deux « rôles » : changer eux-mêmes et accompagner leurs collaborateurs dans le changement.

Le syndrome de la chaussure neuve

Vos veilles chaussures commencent à être sérieusement trouées. Leur niveau d’inconfort est tel que vous vous décidez à en acheter une nouvelle paire. Dans un premier temps, vous marcherez moins confortablement avec vos chaussures neuves qu’avec les anciennes. Il va vous falloir un certain temps, voire un temps certain, pour les faire à votre pied, pour retrouver puis dépasser le niveau de confort d’avant le changement. Et si vous ne les portez pas régulièrement et progressivement, elles risquent de vous donner des ampoules et de rester pour longtemps bien rangées dans votre placard. Même en mauvais état, vous préférerez rechausser les anciennes.

Il se passe le même phénomène lors d’un changement organisationnel. Compte tenu de son évolution, l’organisation actuelle n’est plus suffisamment alignée à la vision stratégique de l’entreprise. Il faut en changer pour adopter une nouvelle organisation retenue à l’issu du travail sur les scénarios organisationnels. Tout le monde s’attend ainsi à ce que la nouvelle organisation génère plus de performance que l’ancienne. A terme, il faut l’espérer, faute de quoi le changement aura échoué. Mais surement pas sur le court terme ! Au moment de la “bascule”, la performance de la nouvelle organisation sera, selon toute vraisemblance, inférieure à celle de l’organisation actuelle. Il faudra un moment, parfois assez long, pour que la performance de la nouvelle organisation rejoigne, puis dépasse, celle de l’ancienne.

Tout changement nécessite des apprentissages individuels et collectifs. Ce syndrome est donc naturel et logique. Mais il est aussi contre-intuitif ! Quand on change, on ne s’attend pas à commencer par dégrader la performance. Et du coup, c’est à ce moment-là de la démarche, c’est-à-dire au début de la mise en œuvre du changement, que les résistants vont sortir du bois. L’occasion est trop belle ! On entend alors des arguments du type :

  • « je t’avais bien prévenu que ce projet c’était du grand n’importe quoi » ;
  • « tout ça pour ça » ;
  • « six mois de boulot, des heures passées en groupes de travail en plus de notre travail quotidien : résultat, des indicateurs en baisse ! Non, mais, on nous prend pour qui ?”.

C’est un moment critique du processus de changement. Toutes les conditions d’une importante régression sont, en général, réunies. Face à ces inévitables remous, il faut tenir la barre fermement. Et, surtout, chercher ni à nier ni à démontrer le contraire de l’évidence, c’est-à-dire la perte temporaire de performance.

La forme de la courbe, que certains appellent la vallée du désespoir ou la vallée aux larmes, est inéluctable. La qualité de la démarche de changement ne pourra qu’atténuer certains effets négatifs comme le niveau et la durée de la perte de performance, et favoriser certains effets positifs, comme l’optimisation du potentiel de la nouvelle organisation et, donc, son niveau de performance finale.

La principale vertue de ces courbes d’apparence scientifique est pédagogique. Il ne faut pas leur faire dire ce qu’elles ne peuvent pas dire. Par exemple, contrairement à ce que prétendent certaines approches excessivement instrumentales, on ne peut pas mesurer le retour sur investissement d’une démarche d’accompagnement du changement. Cela nécessiterait de savoir ce qui se serait passé si on n’avait rien fait. Or, comme le joueur d’échec qui une fois sa pièce posée ne peut la reprendre, en management, on ne joue qu’une fois ! Il n’y a pas de retour possible ! Le changement ne fait pas exception.

L’effet boule de neige

Le déploiement d’une nouvelle organisation nécessite la mise en œuvre de plusieurs projets. Il est pertinent de les inscrire dans des référents temporels différents : court, moyen et long terme. Cela permet de favoriser la dynamique du changement. Au-delà de leur horizon temporel, il n’est souvent pas envisageable de lancer tous les projets de mise en œuvre en même temps. Il faut donc les prioriser. L’ordonnancement de certains est fortement contraint : le projet N ne peut pas débuter tant que le projet M n’est pas complètement achevé. Mais, dans d’autres cas, la latitude de choix est plus importante.

Le séquencement résulte d’une priorisation à effectuer. Deux critères viennent naturellement à l’esprit :

  • le souhaitable au sens de ce qui est le plus important ;
  • le possible, c’est-à-dire celui qui, compte tenu des résistances et des oppositions escomptées, a le plus de chance de ne pas capoter.

Les projets à la fois souhaitables et possibles constituent, évidemment, les priorités. Mais après eux, doit-on prioriser plutôt les projets souhaitables et peu possibles, ou l’inverse ?

Dans une grande majorité de cas, il convient de privilégier le possible sur le souhaitable. Cela favorise l’émergence ou le renforcement d’un effet « boule de neige ».

Dans la gestion du portefeuille de projets, il ne faut pas hésiter à arrêter ceux qui s’enlisent et ne débouchent pas suffisamment rapidement sur des résultats tangibles. Il faut également raisonner par grappes à partir des projets qui produisent des effets significatifs. Un projet qui a abouti peut se décliner en plusieurs projets adjacents qui bénéficieront de la dynamique associée à son succès.

Dans ce processus, comme dans tout changement, il est primordial d’avancer, de rester en mouvement. L’immobilisme, les longues périodes de silence et d’absence sont, en général, nuisibles à sa dynamique. Il faut éviter tout enchaînement « On / Off », et, autant que faire se peut, garder un rythme qui, lui, doit varier : rapide à certains moments, plus lent à d’autres ! La dynamique du changement résulte de la variation des rythmes. Mais, à chaque arrêt, on prend le risque de ne pas repartir, donc de s’enliser.

Avancer n’est pas toujours suffisant pour entretenir une réelle dynamique de changement. Pour cela, il faut également reconnaître les efforts fournis, en particulier en célébrant les « quick wins », les petites victoires, parfois chèrement acquises.