Repenser son organisation®

Fiche N°13

La régulation des comportements (1ère partie)

Le cinquième et dernier paramètre de conception (fiche N°4) concerne la régulation des comportements au sein de l’organisation. Les régulations formelle et informelle sont les deux forces en tension qui le structurent. Bien comprendre cette problématique nécessite de clarifier deux notions clés : les quatre niveaux de régulation des comportements d’une part, la différence entre logiques mécaniste et organique d’autre part.

4 niveaux de régulation des comportements

La régulation des comportements au sein d’une organisation peut être formelle et/ou informelle à quatre niveaux différents : les buts et les intentions ; les manières de faire ; les valeurs ; l’autorité.

Les organisations étudiées dans cet ouvrage sont « artificielles » et non « naturelles » comme celle des cellules ou des organismes vivants. Ce sont des artefacts façonnés par leur but ou leur intention de manière à s’adapter à l’environnement dans lequel ils vivent. Au-delà de cette caractéristique fondamentale, le but des organisations qui nous intéressent ici comporte plusieurs facettes. Il est plus ou moins explicite, plus ou moins formalisé et, surtout, à la fois la cause et la conséquence de l’action. Toute stratégie délibérée, c’est-à-dire issue d’une démarche intentionnelle, n’est jamais complètement mise en œuvre. Et, par ailleurs, toute stratégie réalisée comporte toujours une partie émergente, issue de l’action et non prévue lors de la démarche originelle.

Le fameux management par les objectifs propose de décliner le but recherché et la stratégie délibérée en objectifs, puis de cascader ces derniers au sein de l’organisation. On parle d’objectifs par abus de langage. En étant plus rigoureux, on devrait plutôt parler d’objectifs institutionnels. Pourquoi ? Quiconque a fréquenté une entreprise ne serait-ce que quelques heures sait très bien que le but atteint est également le produit des enjeux des différentes parties prenantes, la résultante d’objectifs personnels souvent largement implicites et parfois beaucoup moins avouables que les objectifs institutionnels.

Le deuxième niveau de régulation des comportements concerne les manières de faire potentiellement formalisées dans des modes opératoires, des définitions de poste, des procédures et des règles. Mais les organisations, même les plus bureaucratiques, n’ont jamais réussi à complètement éradiquer les réseaux informels et les pratiques non prévues dans les modes opératoires. On sait même aujourd’hui que ce sont en fait ces manières de faire informelles qui permettent aux organisations de fonctionner. D’ailleurs, le meilleur moyen de bloquer une organisation est de contraindre ses membres à suivre les règles formelles au pied de la lettre.

Le troisième niveau de régulation des comportements s’applique aux valeurs. La culture d’une entreprise ne peut pas être représentée de manière exhaustive. C’est la raison pour laquelle on recourt fréquemment à la notion de valeurs. Les comportements et les pratiques, partie visible de la culture, sont l’expression de la mise en œuvre d’un système de valeurs. Mais attention, ces valeurs ne sont pas toujours celles qui figurent dans les chartes. Ce sont les valeurs que l’on qualifie de pratiquées, par opposition aux valeurs affichées, celles qui figurent dans les murs et pas sur les murs (fiche N°17).

Illustrons la différence entre valeurs affichées et pratiquées. Dans cette entreprise traditionnelle, un jeune embauché débarque avec une veste rouge. Il ne l’a portée qu’une journée, la première. Aucun code vestimentaire n’était précisé ni dans le guide du nouvel embauché ni dans le règlement intérieur. Personne ne lui a rien dit. Pourtant tout le monde s’est retourné en le croisant dans les couloirs. Sa tenue était dissonante avec l’une des valeurs pratiquées de l’entreprise : la discrétion.

L’autorité est le quatrième niveau de régulation des comportements. On distingue l’autorité statutaire de l’autorité personnelle. La première est déléguée par l’institution, déterminée par la règle et attachée à une fonction. Dire que Monsieur Dupont, directeur du marketing, décide de la politique de prix, est un abus de langage. Cette capacité de décision est attachée à la fonction de directeur du marketing. Quand Monsieur Dupont la quittera, Monsieur Durand, qui le remplacera, aura le même pouvoir de décision.

L’autorité personnelle est souvent assimilée au leadership. Contrairement à l’autorité statutaire, elle est liée à une personne et reconnue par ceux sur qui elle s’exerce. Quand Monsieur Durand remplacera Monsieur Dupont comme directeur du marketing, il bénéficiera de la même autorité statutaire mais pas de la même autorité personnelle. Il lui faudra acquérir cette dernière lors d’un processus de légitimation auprès des membres de son équipe et, plus largement, des parties prenantes à sa fonction.

Logiques mécaniste et organique

La distinction entre organisations mécanistes et organiques est intéressante pour bien comprendre la nature des modes de régulation des comportements.

Les organisations mécanistes sont faites de règles, procédures, modes opératoires, organigrammes et descriptions de fonction. L’organisation est appréhendée comme une machine mécanique et horlogère composée de rouages assemblés avec précision et parfaitement huilés. Rien n’est laissé au hasard. La spécialisation, la standardisation et la formalisation sont poussées aussi loin que possible. Une fois les tâches décrites et l’ordre de leur enchaînement précisé, on place les bonnes compétences aux bons endroits. La hiérarchie contrôle que le travail est réalisé conformément à la manière dont il a été défini. Le manager est d’abord un superviseur. Il est aussi un arbitre qui résout les problèmes dont les réponses ne se trouvent ni dans les procédures ni dans les modes opératoires.

Les organisations mécanistes sont centrées sur les activités (ce qui doit être exécuté), leur coordination et leur contrôle pour s’assurer de leur bonne exécution. Elles visent la normalisation, la standardisation et la reproduction des comportements à l’identique. Elles prétendent produire un niveau de conformité suffisant pour permettre la diminution des coûts unitaires de production et l’atteinte de standards de qualité prédéfinis.

Au contraire, les organisations organiques permettent l’agencement et le réagencement des compétences en fonction des contextes d’action. L’organisation est ici plutôt appréhendée comme un organisme vivant composé d’organes qui agissent de concert, de cellules et de molécules en perpétuel mouvement. Il s’agit de partir des compétences disponibles, c’est-à-dire non pas de ce qui doit être exécuté, comme dans les organisations mécanistes, mais de ce qui peut potentiellement être réalisé. On dessine ensuite les contours de l’autonomie à octroyer aux unités pour qu’elles puissent pleinement bénéficier du potentiel d’action de leurs compétences et, ce faisant, faire face aux aléas et aux imprévus. Enfin, on crée les conditions d’une coopération pour faire émerger des productions collectives temporaires, évolutives et reconfigurables.

La nature de la relation entre la structure et les individus illustre la différence fondamentale entre ces deux logiques organisationnelles. Dans la logique mécaniste, la structure est première ; les individus placés à son service. On cherche à mettre la bonne personne au bon endroit. Quand on recourt à la notion de compétence, c’est pour parler des compétences requises par les postes de travail ou les fonctions. Dans la logique organique, c’est le contraire : les individus sont premiers et la structure se met à leur service. La structure a vocation à tirer le meilleur parti des individus. Ici, quand on utilise la notion de compétence, c’est pour parler des compétences détenues par les individus.

Ces deux logiques sont actives dans chaque organisation mais à des degrés divers. Toute organisation présente des aspects mécanistes et d’autres organiques, seules les proportions varient.