Repenser son organisation®

Fiche N°26

L’organisation duale

Dans une organisation duale, l’autorité est partagée.

Poursuivre plusieurs objectifs simultanément

Le premier homme a été envoyé dans l’espace grâce à une organisation duale. Il fallait aux Américains être à la fois irréprochables d’un point de vue technique pour garantir une fiabilité totale du lanceur Appolo et, en même temps, les plus rapides pour continuer à devancer les Soviétiques.

On trouve des traces de l’organisation duale à chaque fois qu’une entreprise cherche à atteindre deux objectifs de nature différente sans pouvoir subordonner l’un à l’autre : des produits développés au niveau global pour amortir les coûts de R&D et, en même temps, qui répondent aux besoins locaux des clients ; des responsables Ressources Humaines qui apportent des réponses spécifiques à des opérationnels aux attentes différentes compte tenu de la nature de leur métier et qui, en même temps, doivent suivre une politique uniforme pour favoriser la standardisation des pratiques au sein de l’entreprise ; etc.

Les administrations et les entreprises publiques, dans l’obligation légale de dissocier « celui qui dépense » de « celui qui paye » à travers le principe dit des « 4 yeux » ou du « double regard », ne peuvent faire autrement que d’adopter une organisation duale. L’agent comptable ne dépend pas hiérarchiquement du Directeur Général comme dans une entreprise privée. Il possède une autorité fonctionnelle qui lui permet de dire non au détenteur de l’autorité hiérarchique.

Le profil de l’organisation duale

Il y a deux variantes de l’organisation duale en fonction de la manière dont l’autorité est allouée aux versants de la matrice. Quand l’autorité hiérarchique est affectée au versant divisionnel, ce qui est le plus courant, le profil organisationnel est le suivant : « Plutôt locale », « Plutôt divisionnelle », « Plutôt horizontale », « Plutôt collective » et « Plutôt informelle ». Quand, au contraire, l’autorité hiérarchique est affectée au versant fonctionnel, au niveau du paramètre de conception « Regroupement des activités », l’organisation devient « Plutôt fonctionnelle » et la régulation des comportements est « Plutôt formelle » et non plus « Plutôt informelle ».

Détaillons le profil de l’organisation duale à partir de l’examen des cinq paramètres de conception (fiche N°4).

Découplage entre les autorités hiérarchique et fonctionnelle

Dans ce modèle organisationnel, l’autorité est partagée entre ceux en charge d’obtenir des résultats opérationnels et ceux en responsabilité de l’optimisation des ressources (financières, technologiques, matérielles et humaines). L’efficience, c’est-à-dire la manière dont les ressources sont utilisées, est un enjeu stratégique équivalent à l’efficacité (mesurée à partir des résultats produits au regard des objectifs fixés). L’organisation duale permet de bien dissocier les deux facettes de la performance sans les hiérarchiser.

La principale traduction organisationnelle de cette dualité stratégique est le découplage des autorités hiérarchique et fonctionnelle. La première est dans certaines mains, la seconde dans d’autres. La structure devient matricielle dans la mesure où certains membres de l’organisation rapportent à plusieurs personnes simultanément : un manager opérationnel et un responsable fonctionnel.

Une organisation multidimensionnelle

L’organisation duale est, par définition, multidimensionnelle et hybride. Dans certains cas, le versant vertical relève d’un mode de regroupement fonctionnel (R&D, production, commercial…) et le versant horizontal d’un regroupement divisionnel (par produits, clients, zones géographiques ou encore projets). Par exemple, le volet vertical de la structure d’un constructeur aéronautique est organisé selon un regroupement fonctionnel : direction de l’engineering, direction des opérations, direction commerciale… Le volet horizontal est, lui, organisé selon un regroupement divisionnel par projets : programme modèle d’avions N°1, programme modèle d’avions N°2…

Dans d’autres cas, c’est le contraire. Par exemple, le volet vertical d’une URSSAF régionale est divisionnel géographique : une division pour chacun des départements de la région. Le volet horizontal, quant à lui, est fonctionnel : gestion des comptes, recouvrement et relation aux cotisants.

La coopération au coeur du modèle

Dans l’organisation duale, l’expression « le tout ne se réduit pas à la somme des parties » prend toute sa signification et a des conséquences opérationnelles très prégnantes. Une organisation multidimensionnelle ne se réduit pas à la superposition de deux structures monodimensionnelles. Elle s’attache à favoriser des synergies du type « 1+1=3 » en évitant que « 1+1=0 ». Le paralytique voit, mais ne marche pas. L’aveugle marche, mais ne voit pas. En coopérant, ils marchent et voient tous les deux. Voilà tout l’enjeu des organisations duales.

Pour que A et B coopèrent, il faut que A détienne des ressources nécessaires à l’atteinte des objectifs de B, et inversement. C’est le cas des entités verticales et horizontales qui dépendent les unes des autres. Mais la coopération ne se résume pas à une relation client/fournisseur : c’est une boucle client/fournisseur ! Le client dépend du fournisseur qui dépend du client, lequel devient par là même son fournisseur. Dans cette boucle, les « nœuds » de la matrice, qui se situent au carrefour des logiques verticale et horizontale, jouent un rôle déterminant. Ce sont eux qui, en fonction du contexte et du moment, effectuent, localement et au cas par cas, les arbitrages que l’on n’a pas souhaités faire une fois pour toute au niveau global. C’est la raison pour laquelle l’organisation duale est plutôt décentralisée et l’allocation de l’autorité, ainsi, « Plutôt locale ».

Si les « nœuds » ne décident de rien et ne font que mettre en œuvre les décisions prises par les managers verticaux et horizontaux alors, non seulement l’organisation duale perd tout son intérêt, mais, en plus, elle provoque des dégâts humains importants. Pourquoi ? Les managers verticaux et horizontaux portent des logiques organisationnelles différentes, complémentaires mais aussi pour partie antagonistes. En exigeant des « nœuds » la seule mise en œuvre des décisions qu’ils prennent, ils risquent de les placer face à des injonctions paradoxales. Les exigences des managers verticaux et celles des managers horizontaux ont beaucoup de chance d’être contradictoires. Si ce n’était pas le cas, les débats auraient été tranchés au niveau global. L’une des deux dimensions organisationnelles aurait été subordonnée à l’autre. On aurait adopté un modèle monodimensionnel, comme l’organisation pyramidale par exemple, et non multidimensionnel.

Des managers coachs

Dans une organisation duale, les objectifs de chacun des versants de la matrice sont formalisés ainsi que les grands principes du partage de l’autorité. Pour le reste, la régulation est largement informelle, surtout quand le mode de regroupement des activités est « Plutôt divisionnel », c’est-à-dire que l’autorité hiérarchique est allouée au versant divisionnel de la matrice. La culture commune permet aux différents protagonistes de mobiliser leurs compétences dans le cadre de logiques organisationnelles à la fois complémentaires et antagonistes. Le partage de valeurs pratiquées permet de dépasser les inévitables tensions, voire de faire de ces dernières le moteur de l’action collective. Quand l’autorité hiérarchique est allouée au versant fonctionnel, et que donc le mode de regroupement des activités est « Plutôt fonctionnel », la régulation des comportements est « Plutôt formelle ».

Dans une organisation duale, le rôle du manager est un peu à l’image de celui du coach d’une équipe de football. D’un côté, il constitue une équipe composée de joueurs au cœur de la production des résultats : gagner ou perdre des matchs (efficacité). De l’autre, il s’appuie sur un staff qui recrute de nouveaux joueurs, les entraîne et les prépare physiquement, analyse la tactique des adversaires… c’est-à-dire tout ce qui concerne la manière dont les ressources sont utilisées (l’efficience). Si la performance est collective, on peut malgré tout identifier des contributions individuelles spécifiques. Quand l’équipe gagne, c’est bien la dynamique collective qui est mise en avant. En revanche, quand elle perd trop souvent et que les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions, c’est en général le coach qui en fait les frais.  Il est injuste de lui faire porter l’entière responsabilité des échecs rencontrés mais, changer de coach, est la manière la plus facile et immédiate de créer un électrochoc pour tenter de retrouver une dynamique conduisant au succès.